Thursday, July 4, 2013

KING KONG THEORIE

KING KONG Theorie. 
Virginie Despentes 2006 Grasset ( extraits)


J'aime pas bien Virginie Despentes qui soigne toujours un peu trop l'outrancier
mais il y a des choses qui me font du bien là-dedans en ces temps mortifères,
vous bizotte, lo.( Laurence Haertenstein )







« J’écris de chez les moches, pour les moches, les vielles, les camionneuses, les frigides, les mal baisées, les imbaisables, les hystériques, les tarées, toutes les exclues du grand marché de la bonne meuf. Et je commence par là pour que les choses soient claires : je ne m’excuse de rien, je ne viens pas me plaindre. Je n’échangerais pas ma place contre une autre, parce qu’être Virginie Despentes me semble être une affaire plus intéressante à mener que n’importe quelle autre affaire.


Je trouve ça formidable qu’il y ait aussi des femmes qui aiment séduire, qui sachent séduire, d’autres se faire épouser, des qui sentent le sexe et d’autres le gâteau du goûter des enfants qui sortent de l’école. Formidable qu’il y en ait de très douces, d’autres épanouies dans leur féminité, qu’il y en ait de jeunes, très belles, d’autres coquettes et rayonnantes. Franchement, je suis bien content pour toutes celles à qui les choses telles qu’elles sont conviennent.
C’est dit sans la moindre ironie. Il se trouve simplement que je ne fais pas partie de celles-là. Bien sûr que je n’écrirais pas ce que j’écris si j’étais belle, belle à changer l’attitude de tous les hommes que je croise. C’est en tant que prolotte de la féminité que je parle, que j’ai parlé hier et que je recommence aujourd’hui. Quand j’étais au RMI, je ne ressentais aucune honte à être une exclue, juste de la colère. C’est la même en tant que femme : je ne ressens pas la moindre honte de ne pas être une super bonne meuf. En revanche, je suis verte de rage qu’en tant que fille qui intéresse peu les hommes, on cherche sans cesse à me faire savoir que je ne devrais même pas être là. On a toujours existé. Même s’il n’était pas question de nous dans les romans d’hommes, qui n’imaginent que des femmes avec qui ils voudraient coucher. On a toujours existé, on a jamais parlé. Même aujourd’hui que les femmes publient beaucoup de romans, on rencontre rarement de personnages féminins aux physiques ingrats ou médiocres, inaptes à aimer les hommes ou s’en faire aimer. Au contraire, les héroïnes contemporaines aiment les hommes, les rencontrent facilement, couchent avec eux en deux chapitres, elles jouissent en quatre lignes et elles aiment toutes le sexe. La figure de la looseuse de la féminité m’est plus que sympathique, elle m’est essentielle. Exactement comme la figure du looseur social, économique ou politique. Je préfère ceux qui n’y arrivent pas pour la simple et bonne raison que je n’y arrive pas très bien moi-même. Et que dans l’ensemble l’humour et l’inventivité se situent plutôt de notre côté. Quand on a pas ce qu’il faut pour se la péter, on est souvent plus créatifs.

 Je suis plutôt King Kong que Kate Moss comme fille. Je suis ce genre de femme que l’on épouse pas, avec qui on ne fait pas d’enfant, je parle de ma place de femmes toujours
trop tout ce qu’elle est, trop agressive, trop bruyante, trop grosse, trop brutale, trop hirsute, toujours trop virile, me dit-on. Ce sont pourtant mes qualités viriles qui font de moi autre chose qu’un cas social parmi les autres. Tout ce que j’aime de ma vie, tout ce qui m’a sauvé, je le dois à ma virilité. C’est donc ici en temps que femme inapte à attirer l’attention masculine, à satisfaire le désir masculin, et à me satisfaire d’une place à l’ombre que j’écris. C’est donc d’ici que j’écris, en tant que femme non séduisante, mais ambitieuse, attirée par l’argent que je gagne moi-même, attirée par le pouvoir, de faire et de refuser, attirée par la ville plutôt que par l’intérieur , toujours excitée par les expériences et incapables de me satisfaire du récit qu’on m’en fera. Je m’en tape de mettre la gaule à des hommes qui ne me font pas rêver. Il ne m’est jamais paru flagrant que les filles séduisantes s’éclataient tant que ça. Je me suis toujours sentie moche, je m’en accommode d’autant mieux que ça m’a sauvé d’une vie de merde à me coltiner des mecs gentils qui ne m’auraient jamais emmenée plus loin que la ligne bleue des Vosges. Je suis contente de moi, comme ça, plus désirante que désirable.


 J’écris donc d’ici, de chez les invendues, les tordues, celles qui ont le crâne rasé, celles qui ne savent pas s’habiller, celles qui ont peur de puer, celles qui ont les chicots pourris, celles qui ne savent pas s’y prendre, celles à qui les hommes ne font pas de cadeau, celles qui baiseraient avec n’importe qui voulant bien d’elles, les grosses putes, les petites salopes, les femmes à chattes toujours sèches, celles qui ont des gros bides, celles qui voudraient être des hommes, celles qui se prennent pour des hommes, celles qui rêvent de faire hardeuses, celles qui n’en n’ont rien à foutre des mecs mais que leur copine intéressent, celles qui ont un gros cul, celles qui ont les poils drus et bien noirs et qui ne vont pas se faire épiler, celles qui cassent tout sur leur passage, celles qui n’aiment pas les parfumeries, celles qui se mettent du rouge trop rouge, celles qui sont trop mal foutues pour pouvoir se saper comme des chaudasses mais qui en crèvent d’envies, celles qui veulent porter des fringues d’hommes et la barbe dans la rue, celles qui veulent tout montrer, celles qui sont pudiques par complexe, celles qui ne savent pas dire non, celles qu’on enferme pour les mater, celles qui font peur, celles qui font pitié, celles qui ne font pas envies, celles qui ont la peau flasque, des rides plein la face, celles qui rêvent de se
faire lifter, liposucer, péter le nez pour le refaire mais qui n’ont pas l’argent pour le faire, celles qui ne ressemblent plus à rien, celles qui ne comptent que sur elles mêmes pour se protéger, celles qui ne savent pas être rassurantes, celles qui aiment boire jusqu’à se vautrer par terre dans les bars, celles qui ne savent pas se tenir ; aussi bien et dans la foulée que pour les hommes qui n’ont pas envie d’être protecteurs, ceux qui voudraient l’être mais ne savent pas s’y prendre, ceux qui ne savent pas se battre, ceux qui chialent volontiers, ceux qui ne sont pas ambitieux, ni compétitifs, ni bien membrés, ni agressifs, ceux qui sont craintifs, timides, vulnérables, ceux qui préféreraient s’occuper de la maison plutôt que d’aller travailler, ceux qui sont délicats, chauves, trop pauvres pour plaire, ceux qui ont envie de se faire mettre, ceux qui ne veulent pas que l’on compte sur eux, ceux qui ont peur tout seuls le soir.
Parce que l’idéal de la femme blanche, séduisante mais pas pute, bien mariée mais pas effacée, travaillant mais sans trop réussir, pour ne pas écraser son homme, mince mais pas névrosée par la nourriture, restant indéfiniment jeune sans se faire défigurer par les chirurgiens esthétiques, maman épanouie mais pas accaparée par les couches et les devoirs d’école, bonne maîtresse de maison mais pas bonniche traditionnelle, cultivée mais moins qu’un homme, cette femmes blanche heureuse qu’on nous brandit tout le temps sous le nez, celle à laquelle on devrait faire l’effort de ressembler, à part qu’elle a l’air de beaucoup s’emmerder pour pas grand chose, de toutes façons je ne l’ai
jamais croisée, nulle part. Je crois bien qu’elle n’existe pas.. »
p 9 à 13

« La maman sait ce qui est bon pour son enfant, on nous le répète sur tous les tons, elle porterait intrinsèquement en elle ce pouvoir stupéfiant. Réplique domestique de ce qui s’organise dans le collectif : l’Etat toujours plus surveillant sait mieux que nous ce que nous devons manger, boire, fumer, ingérer, ce que nous sommes aptes à regarder, lire, comprendre, comment nous devons nous déplacer, dépenser notre argent, nous distraire. Quand Sarkozy réclame la police dans les écoles, ou Royal l’armée dans les quartiers, ça n’est pas une figure virile de la loi qu’ils introduisent chez les enfants, mais la prolongation du pouvoir absolu de la mère. Elle seule sait punir, encadrer, tenir les enfants en état de nourrissage prolongé. Un Etat qui se projette en mère toute puissante est un Etat fascisant. Le citoyen d’une dictature redevient au stade du bébé : langé,nourri et tenu au berceau par une force omniprésente, qui sait tout, qui peut tout, a tous les droits sur lui pour son propre bien... Quand l’inconscient collectif, à travers ces instruments de pouvoir que sont les médias et l’industrie de l’entertainment, survalorise la maternité, ce n’est ni par amour du féminin, ni par bienveillance globale. La mère investie de toutes les vertus, c’est le corps collectif qu’on prépare à la régression fasciste. Le pouvoir qu’un Etat malade octroie est forcément suspect. On entant aujourd’hui les hommes se lamenter de ce que l’émancipation féministe les dévirilisent. Ils regrettent un état antérieur, quand leur force prenait racine dans l’oppression féminine. Ils oublient que cet avantage politique qui leur était donné a toujours eu un coût : les corps des femmes n’appartenaient aux hommes qu’en contrepartie de ce que les corps des hommes appartenaient à la production en temps de paix, à l’Etat en temps de guerre. La confiscation du corps des femmes se produit en même temps que la
confiscation du corps des hommes.. »p 26 à 29

« Il y a eu une révolution féministe. Des paroles se sont articulées,
en dépit de la bienséance, en dépit des hostilités. Et ça continue
d’affluer. Mais, pour l’instant, rien, concernant la masculinité.
Silence épouvanté des petits garçons fragiles. Ca commence à bien
faire. Le sexe prétendument fort, qu’il faut sans cesse protéger,
rassurer, soigner, ménager. Qu’il faut défendre de la vérité. Que les
femmes sont des lascars comme les autres, et les hommes des putes et
des mères, tous dans la même confusion. Il y a des hommes plutôt faits
pour la cueillette, la décoration d’intérieur et les enfants au parc et
des femmes bâties pour aller trépaner le mammouth et faire du bruit et
des embuscades. C’est chacun son terrain. L’éternel féminin est une
énorme plaisanterie. On dirait que la vie des hommes dépend du maintien
du mensonge... femme fatale, bunny girl, infirmière, lolita, pute, mère
bienveillante ou castratrice. Du cinéma, tout ça. Mise en scène des
signes et précisions des costumes. On rassure de quoi, comme ça ? On ne
sait pas exactement ce qu’ils craignent si les archétypes construits de
toutes pièces s’effondrent : les putes sont des individus lambda, les
mères ne sont pas intrinsèquement ni bonnes ni courageuses ni aimantes,
pareil pour les pères, ça dépend des gens, des situations, des moments.
S’affranchir du machisme , ce piège à cons ne rassurant que les
maboules. Admettre qu’on s’en tape de respecter els règles des
répartitions des qualités. Systèmes de mascarades obligatoires. De
quelle autonomie les hommes ont-ils si peur qu’ils continuent de se
taire, de ne rien inventer ? De ne produire aucun discours neuf,
critique, inventif sur leur propre condition ?
A quand l’émancipation masculine ?
( ...) Bien sûr que c’est pénible d’être une femme. Peurs, contraintes,
impératifs de silence, rappels à un ordre qui a fait long feu,
festivals de limitations imbéciles et stériles. Toujours des
étrangères, qui doivent se taper le sale boulot et fournir la matière
première en faisant profil bas... Mais à côté de ce que c’est, être un
homme, ça ressemble à une rigolade... Car finalement, nous ne sommes
pas les plus terrorisées, ni les plus désarmées, ni les plus entravées.
Le sexe de l’endurance, du courage et de la résistance a toujours été
le nôtre. Pas qu’on ait eu le choix, de toute façon.
Le vrai courage. Se confronter avec ce qui est neuf. Possible.
Meilleur. Echec du travail ? Echec de la famille ? Bonnes nouvelles.
Qui remettent en cause, automatiquement la virilité. Autre bonne
nouvelle. On en a soupé, de ces conneries.
Le féminisme est une révolution, pas un réaménagement des consignes
marketing pas une vague promotion de la fellation ou de l’échangisme,
il n’est pas seulement question d’améliorer les salaires d’appoint. Le
féminisme est une aventure collective pour les femmes, pour les hommes
et pour les autres. Une révolution bien en marche. Une vision du monde,
un choix. Il ne s’agit pas d’opposer les petits avantages des femmes
aux petits acquis des hommes, mais bien de tout foutre en l’air. »
P 151 à 155

Virginie Despentes, King Kong Théorie.


Laurence hartenstein  a Jacques Fhima le 9 decembre 2008.

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